La révision de la Directive européenne relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation : une chance à saisir

Par Alexandre Biard,
Juriste au Bureau Européen des Consommateurs (BEUC)

Alexandre Biard, Juriste au Bureau Européen des Consommateurs (BEUC)
Alexandre Biard,
Juriste au Bureau Européen des Consommateurs (BEUC)

A quelques mois de la fin de son mandat, la Commission européenne a débuté le 17 octobre 2023 le processus législatif pour moderniser le cadre européen relatif au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation[1]. Le paquet législatif européen contient une proposition de directive européenne modifiant l’actuelle directive 2013/11/UE[2] , une proposition de règlement européen mettant un terme à la plateforme européenne de règlement en ligne des litiges (aussi appelée « plateforme ODR[3] ») ainsi qu’une recommandation adressée aux places de marché en ligne et aux associations professionnelles de l’UE disposant d’un mécanisme de règlement des litiges[4].

Cette initiative est importante et la bienvenue dans la mesure où la médiation de la consommation a connu d’importantes évolutions en Europe ces dernières années. La pandémie de COVID-19, la crise énergétique ou encore la crise du pouvoir d’achat ont conduit un nombre croissant de consommateurs à s’adresser à des entités de médiation pour tenter de résoudre leurs litiges avec les professionnels. En parallèle, l’essor des nouvelles technologies a eu un impact sur les services proposés par les entités de médiation, certaines ayant par exemple un recours croissant à l’intelligence artificiel et autres systèmes automatisés pour faciliter le contact avec les consommateurs et le traitement des dossiers reçus. Pour autant, la situation demeure encore très inégale en Europe. Dans d’autres pays, la médiation de la consommation reste encore peu connue et n’est pas parvenue à se développer véritablement[5].

Dans ce tableau européen aux multiples nuances, qu’en est-il de la France ? Force est de constater qu’après une période de développement et d’expansion, le paysage français de la médiation de la consommation est aujourd’hui très fragmenté. Il doit désormais se structurer pour être en mesure d’offrir une médiation plus efficace susceptible de mieux répondre aux attentes tant des consommateurs que des professionnels.

Bilan de la médiation de la consommation en France : peut mieux faire

Les discussions sur la révision du cadre législatif européen interviennent alors que la France connait un regain d’intérêt généralisé pour la résolution amiable des litiges dans les affaires civiles. En octobre 2023, le Garde des Sceaux annonçait le lancement d’une nouvelle politique publique de l’amiable présentée comme composante essentielle d’une justice civile modernisée et plus proche des attentes des citoyens[6]. Or, si la médiation de la consommation a connu d’importants bouleversements ces dix dernières années - avec en particulier la création de la Commission d’Evaluation et de Contrôle de la Médiation de la Consommation (CECMC) chargée d’approuver et de garantir le bon fonctionnement des médiateurs[7] - le paysage français de la médiation de la consommation reste inachevé, voire présente encore d’importantes lacunes structurelles. Comme l’a notamment constaté la CECMC, la médiation de la consommation est tout d’abord « insuffisamment connue des consommateurs et des professionnels, alors même qu’elle doit contribuer à des relations commerciales confiantes et apaisées[8] ». Ensuite, du point de vue de l’observateur extérieur, la situation française demeure excessivement complexe. Cela est notamment lié au fait que la France comptait en 2023 près de 86 médiateurs de la consommation sur son territoire, un nombre qui à lui seul représente 20% de l’ensemble des médiateurs européens (420 au total)[9]. Cette situation range la France loin devant ses homologues européens : l’Italie, avec 53 entités de médiation, monte sur la seconde marche et l’Espagne, avec 37 entités, complète ce podium.

Outre leur nombre, les médiateurs de la consommation français forment également encore un ensemble très hétéroclite. Aux côtés des médiateurs sectoriels – parmi lesquels la Médiatrice des Communications électroniques ou le médiateur de l’énergie – on trouve un très grand nombre de médiateurs d’entreprises (environ une trentaine), ce qui est là une autre spécificité française. On se souvient qu’initialement la proposition de directive européenne de 2013 ne prévoyait pas la reconnaissance des médiateurs d’entreprises en tant qu’entités de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. Cette possibilité fut néanmoins ajoutée ultérieurement, sous la pression notamment de la France. Les médiateurs d’entreprises ont, ces dernières années, suscité des inquiétudes à cause de leur manque d’indépendance et d’impartialité en raison des liens étroits que certains continuent d’entretenir avec les professionnels auxquels ils sont liés[10]. Des médiateurs n’ont également qu’une compétence matérielle et/ou géographique limitée (un rayon d’action qui pour certains se limite à l’échelle du département ou de la région). Enfin, parmi ces 86 entités de médiation, toutes ne reçoivent pas le même nombre de plaintes de consommateurs et par conséquent n’ont pas pu développer la même expertise. La CECMC notait ainsi dans son dernier rapport d’activité que 18 médiateurs (soit 21 % de l’ensemble) traitent plus de 80% des saisines (169 483 en 2022). Par ailleurs, « 6 médiateurs reçoivent et traitent plus de 10 000 saisines par an, tandis que d'autres - c'est le cas de trois médiateurs - traitent moins de 10 saisines par an ».[11]

Dans le domaine de la médiation de la consommation, l’expérience tend pourtant à montrer que le nombre ne fait pas nécessairement la force. Au contraire, une architecture efficace passerait plutôt par une offre de médiation resserrée et organisée autour d’un nombre restreint de médiateurs couvrant les secteurs dans leur intégralité (et pouvant ainsi être mieux identifiés par les consommateurs et les professionnels) et disposant de ressources adéquates pour mener à bien leur mission. Certains pays européens ont déjà fait le choix d’une médiation plus rationnalisée. C’est notamment le cas de l’Autriche où il existe un nombre limité de médiateurs (un par secteur économique) dont l’action est complétée par l’intervention d’un médiateur résiduel compétent lorsque les autres ne le sont pas. Dans d’autres pays, comme en Belgique, l’entité de médiation résiduelle a également la charge d’informer et d’aiguiller les consommateurs vers le médiateur compétent en cas de besoin[12].

Vers une médiation de la consommation plus efficace

Si une architecture plus rationnalisée doit permettre de promouvoir une médiation plus efficace, encore est-il nécessaire de clarifier les rôles que la médiation de la consommation entend jouer dans notre société. Ici encore, les retours d’expérience des autres pays européens ainsi que les travaux de recherche menés ces dernières années permettent d’apporter de nouveaux éclairages sur ces questions.

Premièrement, l’objectif de la médiation de la consommation est naturellement de permettre aux consommateurs et aux professionnels de trouver une solution rapide, flexible et à moindre coûts à leurs différends. La médiation est en particulier importante pour des petits litiges à dimension économique limitée pour lesquels les consommateurs n’ont souvent qu’une faible incitation à demander réparation auprès des professionnels.

Deuxièmement, les entités de médiation - et en particulier, les médiateurs sectoriels en raison de leur position privilégiée sur le marché - peuvent être en mesure de contribuer à la « vigie » des secteurs grâce en particulier aux signalements et plaintes qu’ils reçoivent des consommateurs. Cela leur permet notamment d’identifier, et si nécessaire, d’alerter sur de possibles risques systémiques et autres problèmes récurrents portés à leur attention. A ce titre, les médiateurs de la consommation peuvent incarner, avec les autorités publiques (DGCCRF et autres régulateurs sectoriels) et les organisations de consommateurs, un maillon important pour une meilleure application du droit de la consommation. Cela nécessite néanmoins qu’une articulation et une complémentarité entre le rôle de ces différents acteurs soient trouvées.

Troisièmement, les médiateurs de la consommation peuvent avoir un rôle important à jouer pour la modernisation de la justice civile de manière plus générale. Ces derniers peuvent, par exemple, contribuer au désengorgement des tribunaux. A ce titre, la politique de l’amiable souhaitée par le Garde des Sceaux doit pleinement considérer le rôle des médiateurs de la consommation en s’assurant notamment que les juges sont suffisamment informés des services proposés par les médiateurs. Ici encore, une articulation entre le rôle du juge et celui du médiateur est à construire.

Quatrièmement, la médiation de la consommation a de plus en plus un rôle social à jouer pour faciliter l’accès au droit, en particulier auprès des personnes et foyers plus vulnérables. Des initiatives récentes ont d’ailleurs montré le rôle que peuvent jouer les médiateurs dans ce domaine. En Belgique, en 2023, les principaux médiateurs sectoriels ont pris part à un « ombudstour », voyage d’information et de sensibilisation organisé à travers le pays au cours duquel des représentants des différents médiateurs sont allés à la rencontre de la population dans l’espace publique afin d’informer les personnes sur leurs droits, de répondre à leurs interrogations et de présenter leurs services.[13]

Résoudre les litiges, prévenir et contribuer à un bon fonctionnement des marchés et à celui de la justice civile plus largement, mais aussi informer et assurer un accès au droit sont donc aujourd’hui parmi les caractéristiques principales d’une médiation de la consommation efficace. Cette efficacité repose en outre sur sa bonne articulation et complémentarité avec les autres acteurs du secteur, à savoir les possibles autorités sectorielles, la DGCCRF et les organisations de consommateurs.

Le paradoxe de la proposition européenne : un texte timide mais une opportunité à saisir

Dans ce contexte, comment aborder la nouvelle initiative européenne ? Celle-ci peut-elle permettre les avancées souhaitées et nécessaires ? Tout d’abord, il est important de noter que l’initiative de la Commission ne bouleverse pas les principes directeurs établis par la directive européenne de 2013. En particulier, la proposition ne remet pas en cause le principe d’harmonisation minimale qui autorise chaque Etat Membre à décider à l’échelle nationale de son architecture nationale et de son paysage de la médiation de la consommation. L’initiative Européenne n’encourage pas une plus grande rationalisation de l’offre de médiation. Il reviendra donc au Législateur français de prendre les mesures nécessaires pour assurer une plus grande cohérence du secteur.

Par ailleurs, l’initiative européenne ne propose que des changements relativement limités au cadre réglementaire actuel[14]. L’avancée certainement la plus notable concerne la large extension de la compétence matérielle des médiateurs de la consommation. Jusqu’ici, la compétence des médiateurs était limitée aux différends de nature contractuelle. La proposition de directive élargit ce champ d’action en prévoyant désormais que les entités de médiation pourront traiter des cas liés aux droits statutaires des consommateurs (par exemple, le droit de changement de fournisseurs) ou encore des pratiques commerciales déloyales. En pratique, la médiation de la consommation deviendrait donc possible pour traiter de la quasi-intégralité des plaintes de consommateurs, que celles-ci soient de nature contractuelle ou non.

Pour discuter du bien-fondé de cette ambitieuse proposition, il faut distinguer son principe de sa réalisation pratique. Son principe tout d’abord est celui de donner aux consommateurs une nouvelle voie pour faire valoir et exercer leurs droits. A ce titre, la proposition de la Commission européenne est louable et justifiée puisque la mise en application du droit de la consommation et la possibilité pour les consommateurs d’exercer leurs droits est un enjeu fondamental, régulièrement présenté par la Commission européenne comme l’une de ses priorités ces dernières années[15]. C’est néanmoins dans la réalisation pratique de cette proposition que les difficultés sont susceptibles de se poser. Tout d’abord, une telle extension de la compétence matérielle des entités de consommation nécessite que l’architecture nationale de la médiation de la consommation soit solidement en place et bien enracinée. Or, pour les raisons évoquées précédemment, ce n’est pas encore le cas en France. En outre, l’extension du champ de compétence des médiateurs pose également la question sur l’articulation de leurs rôles avec ceux des autres acteurs en charge de l’application du droit de la consommation, au premier rang duquel les autorités publiques (DGCCRF) et associations de consommateurs. Il est par exemple intéressant de s’interroger sur l’articulation entre ce nouveau rôle donné aux médiateurs de la consommation concernant les pratiques commerciales déloyales et la plateforme en ligne signalconso[16] développée par la DGCCRF qui précisément permet aux consommateurs de signaler lesdites pratiques. Par ailleurs, ce nouveau rôle pose la question du maintien de certains principes directeurs de la médiation dans ce nouveau cadre. Par exemple, une procédure de médiation qui concernerait une pratique commerciale déloyale peut-elle encore être traitée de manière confidentielle par le médiateur dans la mesure où celle-ci déborde du cadre du litige privé et a une dimension publique (d’autres consommateurs sont également susceptibles d’être exposés à la même pratique déloyale) ? De même, est-il encore justifié de laisser aux médiateurs la possibilité de résoudre un litige en suivant les règles de l’équité (comme le font parfois certains médiateurs) et non suivant la règle de droit lorsque des pratiques commerciales trompeuses sont en jeu ? Enfin, se pose la question de la capacité et des ressources des médiateurs pour mener à bien leurs nouvelles missions. Sur les 86 médiateurs, seuls une poignée d’entre eux (en particulier les médiateurs sectoriels) seraient aujourd’hui véritablement en mesure d’assurer ces compétences élargies.

Que retenir donc de la proposition européenne ? Tout d’abord, celle-ci a le mérite de poser les bases pour une révision du cadre actuel. Ceci est nécessaire en raison des changements intervenus ces dernières années. Si certes l’initiative européenne soulève plusieurs interrogations - voire des doutes - elle a également le mérite de nous pousser à nous poser la question du futur de la médiation de la consommation, de son rôle, de son architecture, de son articulation avec les autres acteurs (autorités, associations de consommateurs et autres) ainsi que du mode de fonctionnement des médiateurs.

Aussi, l’initiative de la Commission européenne ne doit pas être vue comme un aboutissement, mais au contraire comme un point de départ. A ce titre, les travaux préparatoires en cours auprès du Parlement Européen et du Conseil vont être fondamentaux pour renforcer la proposition législative initiale. En raison des élections européennes de 2024, celles-ci seront très probablement suspendues pendant plusieurs mois avant de reprendre dans la deuxième partie de 2024. Il reviendra ensuite au Législateur français de saisir cette opportunité pour jeter les bases d’une médiation de la consommation plus rationalisée et plus efficace susceptible de mieux répondre aux attentes des professionnels et des consommateurs. Un beau projet et un défi pour l’avenir, qui devra se nourrir des points de vue de tous les acteurs concernés ainsi que des expériences de nos homologues européens.

  1. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_23_5049
  2. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32013L0011
  3. https://ec.europa.eu/consumers/odr/main/?event=main.complaints.screeningphase
  4. https://commission.europa.eu/live-work-travel-eu/consumer-rights-and-complaints/resolve-your-consumer-complaint/alternative-dispute-resolution-consumers_fr
  5. https://commission.europa.eu/document/04b4369e-59c6-4dae-9dbd-b5a8012c5af4_en
  6. www.justice.gouv.fr/actualites/actualite/nouvelles-mesures-developper-culture-lamiable
  7. www.economie.gouv.fr/mediation-conso/commission
  8. www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/mediation-conso/Communique-de-presse-rapport-dactivite-2019-2021.pdf?v=1691054090
  9. https://commission.europa.eu/document/04b4369e-59c6-4dae-9dbd-b5a8012c5af4_en
  10. www.economie.gouv.fr/mediation-bancaire-assurantielle-propositions-amelioration-ccsf ; www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-mediation-bancaire-un-grand-menage-s-impose-n92840/
  11. www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/mediation-conso/CECMC_RA2019-2021_WEB2_0.pdf?v=1691054090 (p.26).
  12. https://mediationconsommateur.be/fr
  13. www.federaalombudsman.be/fr/ombudstour-rencontrez-les-ombudsmans-pres-de-chez-vous
  14. www.beuc.eu/sites/default/files/publications/BEUC-X-2023-164_Modernising_Consumer_ADR_in_the_EU.pdf
  15. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_2069 ; https://commission.europa.eu/publications/communication-commission-enforcing-eu-law-europe-delivers_en
  16. https://signal.conso.gouv.fr/fr